Le carnaval brésilien est une célébration qui captive le monde entier avec son explosion de couleurs, de musique et de danse. Les costumes chatoyants, les rythmes envoûtants des percussions et la foule exubérante créent une atmosphère unique et inoubliable. Chaque année, des millions de personnes affluent vers les villes brésiliennes pour participer à cette fête grandiose, transformant les rues en un spectacle grandiose et effervescent. Cette frénésie festive est le résultat d’une longue et riche histoire.

Mais d’où vient cette extravagance ? Comment cette tradition, initialement importée, s’est-elle développée au fil des siècles pour devenir une manifestation culturelle unique ? Le carnaval brésilien est un phénomène complexe et fascinant, né d’une confluence d’influences européennes, africaines et, dans une moindre mesure, indigènes, reflétant l’histoire et l’identité du pays.

Les racines européennes : L’Entrudo portugais et l’influence religieuse

Dans ses origines lointaines, le carnaval brésilien puise ses racines dans les traditions européennes, en particulier l’Entrudo portugais. Cette coutume, apportée au Brésil par les colons, était une forme de célébration populaire caractérisée par le désordre et l’exubérance. L’Entrudo était marqué par des batailles d’eau, des jets de farine, de boue et d’autres projectiles, créant une ambiance chaotique et parfois violente. Cette tradition, bien que festive, se distinguait des célébrations raffinées que l’on associe au carnaval brésilien actuel. Il est donc essentiel de comprendre cette origine pour saisir pleinement l’évolution de cette fête.

L’entrudo : une tradition turbulente

L’Entrudo, originaire du Portugal, était une fête populaire célébrée avant le Carême, période de jeûne et de pénitence dans le calendrier chrétien. Ses pratiques consistaient principalement en des jeux et des farces, souvent caractérisés par une certaine agressivité. Les participants se lançaient de l’eau, des œufs, de la farine et même de la boue. Cette tradition, remontant à l’Antiquité, était perçue comme une forme de défoulement collectif avant la période de restrictions du Carême. L’Entrudo était donc une manifestation bruyante et désordonnée, loin de l’organisation et de la sophistication des carnavals modernes. La violence était tolérée, voire encouragée.

Adaptation et transformation au brésil

Dès les premières années de la colonisation portugaise, l’Entrudo a été introduit au Brésil et fidèlement reproduit. Cependant, au fil du temps, il a commencé à se transformer, intégrant des éléments de la culture locale. Les populations africaines asservies, par exemple, y ont intégré leurs rythmes et leurs danses, tout en participant aux jeux traditionnels de l’Entrudo. Cette fusion des cultures a marqué le début de l’évolution du carnaval brésilien vers sa forme actuelle, une période de transition qui a vu l’émergence de nouvelles formes d’expression festive.

L’influence de l’église catholique

L’Église catholique a joué un rôle ambivalent dans l’évolution du carnaval. D’une part, elle tolérait l’Entrudo comme une soupape de sécurité avant le Carême. D’autre part, elle condamnait les pratiques jugées indécentes ou immorales, cherchant à limiter l’exubérance et la violence de la fête. Cette tension entre la permissivité et la répression a contribué à façonner le caractère du carnaval, oscillant entre la transgression et le respect des normes sociales. De plus, le clergé encourageait des processions religieuses qui se déroulaient en même temps que l’Entrudo, tentant d’insuffler une dimension spirituelle aux festivités.

L’émergence de l’identité Afro-Brésilienne : incorporation des rythmes et traditions

L’arrivée des populations africaines asservies au Brésil a profondément transformé le paysage culturel du pays, et le carnaval n’a pas fait exception. Ces populations, arrachées à leurs terres, ont réussi à préserver et à adapter leurs traditions culturelles, intégrant leurs rythmes, leurs danses et leurs croyances religieuses aux festivités existantes. Cette influence afro-brésilienne a donné naissance à des formes d’expression uniques et a contribué à définir l’identité du carnaval brésilien tel que nous le connaissons aujourd’hui. L’apport africain a donc été déterminant dans la métamorphose du carnaval en une expression culturelle riche et diversifiée.

L’impact de l’esclavage et la résistance culturelle

Malgré les conditions inhumaines de l’esclavage, les Africains ont réussi à maintenir vivantes leurs traditions culturelles au Brésil, pratiquant leurs religions, chantant leurs chansons et dansant leurs danses, souvent en secret, dans les *quilombos* (communautés d’esclaves fugitifs) ou lors de rassemblements clandestins. Ces pratiques culturelles ont joué un rôle essentiel dans la préservation de leur identité et dans leur résistance à l’oppression. Par la suite, ces traditions se sont infiltrées dans les festivités publiques, contribuant à enrichir le carnaval de nouvelles formes d’expression. Les *quilombos*, en particulier, sont devenus des centres de préservation et de diffusion de la culture africaine.

Le rôle du candomblé et de l’umbanda

Le candomblé et l’umbanda, deux religions afro-brésiliennes, ont exercé une influence considérable sur la musique et la danse du carnaval. Le candomblé, originaire du Bénin et du Nigéria, est une religion polythéiste qui vénère les *orixás* (divinités africaines). L’umbanda, quant à elle, est une religion syncrétique qui combine des éléments du candomblé, du catholicisme et du spiritisme. Ces religions ont apporté au carnaval leurs rythmes complexes, leurs chants envoûtants et leurs danses rituelles, contribuant à créer une atmosphère mystique et spirituelle. Ces influences religieuses ont enrichi le carnaval d’une dimension spirituelle et culturelle singulière.

La naissance des « cordões » : les précurseurs des écoles de samba

Les « cordões » étaient les premières formes de groupes carnavalesques organisés au Brésil. Ils se sont développés à partir des traditions africaines et des célébrations populaires de l’époque. Ces groupes défilaient dans les rues, accompagnés de musique et de danse, portant des costumes simples mais colorés. Les « cordões » étaient souvent associés aux maisons de culte afro-brésiliennes, témoignant de l’importance de la culture africaine dans leur formation. Ils sont considérés comme les précurseurs des écoles de samba modernes, ayant jeté les bases de l’organisation et de la structure des défilés carnavalesques. La spontanéité et la joie de vivre étaient les maîtres mots de ces groupes.

L’urbanisation et la structuration du carnaval : écoles de samba

L’urbanisation croissante des villes brésiliennes, en particulier Rio de Janeiro, au début du XXe siècle, a eu un impact majeur sur le carnaval. L’arrivée de nouveaux habitants, venant des zones rurales et des communautés afro-brésiliennes, a entraîné une diversification des influences culturelles et une structuration progressive des festivités carnavalesques. De cette période d’effervescence urbaine est née une nouvelle forme d’expression culturelle : les écoles de samba. Ces organisations ont rapidement pris une place centrale, contribuant à transformer la fête en un spectacle grandiose et sophistiqué.

L’essor des villes et l’afflux de migrants

L’industrialisation et l’essor économique des villes brésiliennes, notamment Rio de Janeiro, ont attiré des milliers de migrants en quête de travail et d’opportunités. Cette migration massive a entraîné une explosion démographique et une diversification culturelle. Les nouveaux arrivants, porteurs de traditions variées, ont contribué à enrichir le carnaval de nouvelles influences. Cette période a été marquée par une grande créativité et une volonté d’exprimer une identité brésilienne en constante évolution. Cette énergie a donné naissance à des formes d’expression culturelle plus structurées.

La genèse de la samba : le rythme du brésil

Née dans les quartiers populaires de Rio de Janeiro, la samba est devenue la musique emblématique du carnaval brésilien. Elle est le résultat d’un mélange de rythmes africains, de mélodies européennes et, possiblement, d’influences indigènes. La samba a rapidement conquis le cœur des Brésiliens, devenant un symbole de leur identité nationale. Les premières sambas étaient souvent des chansons improvisées, chantées dans les rues pendant le carnaval. Mais peu à peu, la samba s’est structurée, avec l’apparition de compositeurs, d’interprètes et de musiciens professionnels. Cette évolution a contribué à faire de la samba une forme d’art reconnue et appréciée dans le monde entier. Les instruments de percussion comme le surdo, le tamborim et le cuica ont joué un rôle essentiel dans la création du son unique de la samba.

La naissance des écoles de samba : organisation et spectacle

Les écoles de samba, nées dans les quartiers populaires de Rio de Janeiro dans les années 1920, ont révolutionné le carnaval brésilien. Ces organisations, composées de musiciens, de danseurs, de costumiers et d’artistes, se sont donné pour mission de créer des défilés spectaculaires, mettant en scène des thèmes spécifiques, des costumes élaborés et des chorégraphies complexes. Les écoles de samba sont rapidement devenues le cœur du carnaval, attirant des foules immenses et contribuant à transformer la fête en un spectacle grandiose et compétitif. Deixa Falar et Estação Primeira de Mangueira furent parmi les premières et ont structuré et popularisé le carnaval.

Le carnaval sous la dictature : propagande et résistance

La période de la dictature militaire au Brésil (1964-1985) a eu un impact complexe sur le carnaval. D’une part, le régime a tenté de l’instrumentaliser à des fins de propagande nationale, en glorifiant l’histoire et la culture du pays. D’autre part, le carnaval est devenu un espace de résistance et d’expression pour la population, permettant de critiquer subtilement le régime à travers la musique, les costumes et les allégories. Cette période a donc été marquée par une tension constante entre la récupération politique et la liberté d’expression. Le carnaval est ainsi devenu un lieu de contestation.

Le carnaval sous vargas (estado novo)

Sous le régime autoritaire de Getúlio Vargas (Estado Novo), le carnaval a été encadré et contrôlé par l’État, cherchant à promouvoir une image positive du Brésil, en mettant en avant son unité, sa grandeur et son progrès. Les écoles de samba ont été encouragées à créer des défilés patriotiques, glorifiant l’histoire du pays et ses héros nationaux. Cependant, cette tentative de récupération politique n’a pas totalement abouti, car le carnaval est resté un espace d’expression populaire et de contestation.

L’émergence de sambas enredo politiques

Malgré la censure et la répression, les écoles de samba ont trouvé des moyens de critiquer le régime à travers leurs « samba enredo » (chansons-thèmes), avec des paroles souvent métaphoriques ou allégoriques, permettant de dénoncer les injustices sociales, la corruption et la violence du régime. Ces « samba enredo » politiques étaient très populaires auprès de la population, qui y voyait une forme de résistance et d’espoir. La créativité et l’ingéniosité des compositeurs et des interprètes ont permis de contourner la censure et de faire entendre la voix du peuple.

Le carnaval comme espoir et catharsis

Dans un contexte de répression et de censure, le carnaval est devenu une soupape de sécurité, offrant un moment de liberté, d’expression et de défoulement collectif. Les gens pouvaient se déguiser, chanter, danser et oublier leurs soucis pendant quelques jours. Le carnaval permettait de renforcer les liens sociaux, de célébrer la culture brésilienne et de maintenir l’espoir en un avenir meilleur, offrant un espace où les différences sociales s’estompaient, et où chacun pouvait se sentir libre.

L’apogée du carnaval moderne : spectacle, tourisme et mondialisation

À partir des années 1980, le carnaval brésilien a connu un essor spectaculaire, devenant un événement de portée mondiale. La construction du Sambodrome à Rio de Janeiro, en 1984, a marqué un tournant majeur, offrant un espace dédié aux défilés des écoles de samba. Le développement du tourisme et la médiatisation de l’événement ont contribué à sa popularité croissante, attirant des millions de visiteurs. Le carnaval est devenu un véritable spectacle, une industrie culturelle et une vitrine pour le Brésil.

La construction du sambodrome : un nouveau chapitre

Le Sambodrome , conçu par l’architecte Oscar Niemeyer, a permis de structurer et de professionnaliser les défilés des écoles de samba, offrant des gradins pour accueillir des dizaines de milliers de spectateurs et un espace dédié aux défilés, avec des infrastructures adaptées aux besoins des écoles. Cette construction a amélioré la qualité des défilés, attiré davantage de touristes et généré des revenus importants pour Rio de Janeiro. Le Sambodrome est devenu un symbole et un lieu incontournable pour les amateurs de samba.

Le rôle du tourisme : un moteur économique

Le tourisme joue un rôle essentiel dans l’économie du carnaval. Chaque année, des millions de touristes affluent vers le Brésil pour assister aux festivités, stimulant considérablement l’économie locale. L’impact économique du tourisme pendant le carnaval se manifeste à travers :

  • La création d’emplois temporaires dans des secteurs tels que la confection de costumes, la musique et le guidage touristique.
  • La stimulation de l’artisanat local grâce à la vente de souvenirs et de costumes traditionnels.
  • L’augmentation des recettes fiscales pour les municipalités, contribuant ainsi au financement des services publics.

La professionnalisation des écoles de samba

Au fil des années, les écoles de samba se sont professionnalisées, recrutant des artistes et des techniciens spécialisés, investissant dans des costumes et des chars allégoriques de plus en plus sophistiqués et développant des stratégies de marketing et de communication efficaces. Cette professionnalisation a permis d’améliorer la qualité des défilés et d’attirer davantage de sponsors, mais a également soulevé des questions sur la commercialisation et la potentielle perte d’authenticité. Ces écoles sont devenues de véritables entreprises culturelles.

Les défis contemporains du carnaval

Malgré son succès, le carnaval brésilien est confronté à de nombreux défis au XXIe siècle, tels que la commercialisation croissante, les inégalités sociales, les préoccupations environnementales et la nécessité de préserver son authenticité. L’avenir du carnaval dépendra de la capacité des acteurs à relever ces défis et à trouver un équilibre entre tradition et modernité, entre spectacle et expression populaire.

La commercialisation du carnaval

La commercialisation du carnaval est un sujet de débat. Certains critiquent l’omniprésence des sponsors, la vente de produits dérivés et la transformation en un événement de consommation, estimant que cela dénature la fête et la prive de son sens originel. D’autres considèrent que la commercialisation est inévitable et qu’elle permet de financer les défilés et de garantir sa pérennité. Trouver un équilibre entre les intérêts économiques et la préservation de l’authenticité est un défi majeur. Cependant, la commercialisation peut entraîner :

  • Une augmentation des prix des billets pour assister aux défilés, limitant l’accès aux populations locales.
  • Une publicité omniprésente, potentiellement intrusive, dans les rues et sur les chars allégoriques.
  • Une uniformisation des costumes et des défilés, au détriment de la créativité locale et de la diversité culturelle.

Les inégalités sociales

Le faste et le glamour du carnaval contrastent avec la pauvreté et les inégalités sociales persistantes. La plupart des écoles de samba sont issues des quartiers populaires de Rio de Janeiro et sont composées de personnes modestes qui consacrent une grande partie de leur temps et de leurs ressources à préparer le carnaval. La question de la redistribution des richesses et de l’amélioration des conditions de vie des communautés locales est un enjeu majeur. Il est essentiel de garantir que le carnaval profite à tous, et pas seulement à une élite. Les inégalités sociales peuvent se manifester par :

  • Un manque d’accès à l’éducation et à l’emploi pour les jeunes des quartiers populaires, limitant leurs perspectives d’avenir.
  • Des inégalités salariales entre les artistes et les techniciens du carnaval, reflétant les disparités économiques.
  • Des difficultés financières rencontrées par les écoles de samba pour financer leurs défilés, compromettant la qualité et la diversité du spectacle.

Le carnaval en dehors du sambodrome

Bien que le carnaval de Rio soit souvent associé au Sambodrome et aux défilés des grandes écoles, il ne faut pas oublier l’importance du carnaval de rue. Les « blocos de rua », ces groupes de musique et de danse qui défilent dans les rues des villes brésiliennes, sont une expression essentielle du carnaval populaire, offrant une alternative plus spontanée, festive et accessible, et permettant de préserver l’esprit originel, en privilégiant la participation, la créativité et la joie de vivre. Ils sont un symbole de la diversité et de la richesse de la culture brésilienne.

La durabilité du carnaval

La production des costumes et des chars allégoriques du carnaval génère une quantité importante de déchets, ce qui pose des problèmes environnementaux. La sensibilisation à la durabilité et la promotion de pratiques respectueuses de l’environnement sont de plus en plus importantes. Les écoles de samba commencent à adopter des pratiques de production plus responsables. Les enjeux de la durabilité se traduisent par :

  • La promotion de l’utilisation de matériaux recyclés pour la fabrication des costumes et des chars allégoriques.
  • La réduction de la consommation d’énergie lors des défilés.
  • La mise en place d’une gestion responsable des déchets générés par le carnaval.

L’avenir du carnaval

Pour rester pertinent et significatif, le carnaval doit se réinventer et s’adapter aux évolutions de la société. Cela passe par la préservation de son authenticité, la promotion de la diversité culturelle, la lutte contre les inégalités sociales, la prise en compte des enjeux environnementaux et l’innovation en matière de création artistique. Le carnaval a le potentiel de devenir un modèle de festivité durable, inclusive et créative, célébrant la culture brésilienne tout en contribuant au développement économique et social du pays.

Un héritage vibrant

En retraçant l’histoire du carnaval brésilien, son évolution constante est claire, de ses racines européennes et africaines à sa transformation en un spectacle mondial. Le carnaval d’aujourd’hui est le fruit d’un long processus de métissage culturel, de résistance politique et d’innovation artistique. Les traditions africaines, l’influence de l’Église catholique, la créativité des écoles de samba et le dynamisme du carnaval de rue se conjuguent pour créer une fête unique et inoubliable.

Plus qu’une simple festivité, le carnaval brésilien est un baromètre de la société brésilienne, un espace d’expression, de résistance et de créativité qui continue d’évoluer et de fasciner le monde entier. Il est le reflet de l’identité complexe et diverse du Brésil, un pays riche en histoire, en culture et en traditions. Le carnaval est une invitation à la joie, à la danse et à la célébration de la vie. Il est un symbole d’espoir et de résilience pour le peuple brésilien.